Plus intelligent que mon père (mais moins que mon fils)

Publié le par Alain Bonte

Ce n'est pas absolument sûr mais, statistiquement, c'est plus que probable : je suis plus intelligent que mon père et mon fils est plus intelligent que moi ! Dans tous les pays qui le mesurent, le QI est en hausse depuis les années 30.
Le phénomène porte même un nom : l'effet Flynn, James Flyn étant un politologue qui a découvert cela il y a une vingtaine d'années. Les 10 % supérieurs de la population américaine dans les année 20 se situerait aujourd'hui dans le dernier tiers.

J'imagine bien que mes considérations sur mon père et mon fils vous intêressent peu. Je reformule :
"amis et collègues enseignants, vos élèves sont plus intelligents que vous !"
et là, j'entends déjà les questions :
- Oui, mais qu'est-ce que l'intelligence ?
- Et pourquoi cela ne se voit-il pas quand ils me parlent de Mozart (ou au choix Verlaine, Poussin, Kant...)
- Mais comment font-ils ?
Le passionnant numéro d'été de la revue "Books" (cliquer ici) d'où je tire toute ma science récente apporte quelques réponses.

Le QI mesure ce que l'on appelle "l'intelligence fluide" qui peut s'appliquer à résoudre n'importe quel type de problème.
Il n'a donc rien à voir avec la connaissance, l'humanisme, la finesse, la sensibilité...
Albert Jacquart résumait la situation en disant que le QI mesure l'aptitude à répondre à des questions alors que l'intelligence consisterait à poser de bonnes questions.

Si nos élèves nous déçoivent quand ils parlent de Mozart (ou au choix Verlaine, Poussin, Kant...) c'est qu'ils ont fait d'autres choix.
Ici, un peu de recul historique s'avère nécessaire. Le refrain du "c'était mieux avant", du recul de la vraie culture et de la perte des repères remonte à loin.
Les cause du mal sont souvent identifiées :
 - La bande dessinée nous dit le psychiatre Fredric Wertham qui identifie sa cible dans les années 1950 :  "Hitler était un débutant comparé à l'industrie de la BD" déclarait-il.
 - La télévision nous dit Micha Razel dans une étude réalisée en 2001 sur plus d'un million d'écoliers du monde entier ; le petit écran provoque une baisse des résultats en lecture, en sciences et en mathématiques.
 - l'écriture nous dit Socrate dans le Phèdre de Platon : "L'art de l'écriture produira l'oubli dans l'âme de ceux qui l'auront appris, parce qu'ils cesseront d'exercer leur mémoire : mettant en effet leur confiance dans l'écrit, c'est du dehors, grâce à des empreintes étrangères, et non du dedans, grâce à eux-même, qu'ils feront acte de remémoration. (...) Lors donc que, grâce à l'écriture, ils auront entendu parler de beaucoup de choses, sans avoir reçu d'enseignement, ils sembleront avoir beaucoup de science alors que, dans la plupart des cas, ils n'auront aucune science."

A force de relativiser, on peut devenir provocateur comme Steven Johnson dans un livre qui paraîtra dans quelques jours en France : "Tout ce qui est mauvais est bon pour vous. Comment la culture populaire d'aujourd'hui nous rend en fait plus intelligents".
L'auteur va assez loin en défendant la télé-réalité : "Quand nous regardons ces émissions, la partie de notre cerveau de notre entourage - détectant les subtils changements d'intonation, de gestuelle et d'expression - scrute l'action sur l'écran, en quête d'indices. Alors que nous buvons les histoires, nous essayons d'analyser les jeux avec du recul. Les émissions de téléréalité ont mis aux heures de grande écoute l'exercice de jugement rétrospectif." De la même façon, les jeu vidéo seraient un "entraînement cognitif supérieur".

Oui mais alors, avec des outils si formidables, Mozart (ou au choix Verlaine, Poussin, Kant...) ?
Plusieurs hypothèses :
1) notre cerveau a plus de peine à les appréhender. Habitués au "multitâche" de l'ère numérique (lecture d'hyper-textes...) nous avons d'avantage de peine à nous concentrer sur les tâches "difficiles ou longues
2) il y a une faillite de l'éducation. Le discours est connu.
3) Les grandes oeuvres de la culture classique ne sont plus ressenties comme une nécessité et ne semblent plus justifier l'investissement ou l'effort qu'elles demandent.
Dans chacun des cas, faut-il en vouloir à ces moins de trente ans à la fois intelligent et ignare, à ceux qu'on appelle parfois la génération la plus bête du monde ?
J'aime la réponse optimiste de  Chris Hedge :
"La génération la plus bête est l'élite politique et économique qui a saccagé notre économie, rendu un culte au faux dieu de la globalisation, répandu la maladie de la guerre permanente et présidé à la destruction de l'écosystème dont dépend l'espèce humaine. Ce sont les moins de 30 ans, qui ne sont pas stupides mais divertis par des spectacles vides, qui vont payer le prix."

Amis lecteurs, vivez heureux.

Publié dans Pédagogue toi-même !

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